Les réseaux de télévision ont perdu une grande gueule prêt à tirer à boulets rouges sur tout ce qui bouge; les cinéphiles ont perdu un des grands raconteurs, capable d'exprimer son art (et de s'exprimer au travers lui) tant par le ridicule (Elvis Gratton) que le très sérieux (Le Party) et l'historique (15 Février 1839, Octobre), autant par la fiction que le documentaire (Le Steak, Pea Soup).
La plupart de ceux qui ont commenté sa mort ont voulu attirer l'attention sur le polémiste en prenant le soin de dire qu'ils n'allaient pas parler du polémiste, justement, mais de l'artiste. Marc Cassivi en est l'exemple le plus clair. Je crois que c'est Michel Foucault qui disait que la meilleure façon de faire penser à quelque chose était de dire qu'on allait éviter le sujet...
Et, justement, Falardeau aura choisi d'être ''le gars qui parle en joual'', qui parle de souveraineté avec des propos parfois incendiaires, qui se réjouit de la mort de ses adversaires (le fameux ''Salut, pourriture'' à Claude Ryan), toujours prêt à se montrer à la télé pour une déclaration-choc.
Pourtant, il était un homme très bien éduqué, formé au Collège De Montréal (où il a rencontré son ami et allié Julien Poulin), prof d'anthropologie à ses heures, capable de citer autant de poètes comme Pablo Neruda et Gaston Miron que de grands cinéastes comme Fellini et Chaplin (leurs écrits et leurs déclarations, pas seulement leurs films), fort d'une culture générale impressionnante.
L'ironie Falardeau, c'est qu'il fut le meilleur porte-étendard de la cause souverainiste; son charisme était indéniable, ses connaissances historiques furent sans pareil, La Cause se portait mieux avec lui comme tête d'affiche que des avocats sans pouvoir d'attraction comme Bernard Landry, ou des personalités aussi colorées mais sujètes à des débordements comme Jacques Parizeau, ou des traîtres comme Pauline Marois - mais son parler a fait en sorte d'en aliéner plusieurs.
La soi-disant ''option souverainiste'' a perdu tant de plumes en moins de quinze ans, alors qu'on est passés à quelques centaines de votes de gagner le référendum de 1995 à la situation actuelle, où malgré un gouvernement libéral au provincial à son troisième mandat et un gouvernement conservateur à Ottawa, la cote de l'indépendance dépasse à peine les 30%. Bien sûr, on ne peut blâmer Falardeau (du moins pas uniquement) pour cette baisse, mais il suscitait depuis quelques années plus de réactions négatives que positives à chaque fois qu'il prenait la parole sur la place publique, que ce soit quand il traitait David Suzuki de ''petit japanouille à barbiche'' ou en brandissant un drapeau du Hezbollah pendant une manifestation, ou seulement quand il réitérait sa position politique.
Le Devoir, par contre, a bien réussi à cerner non seulement le personnage, mais aussi le combat qu'il menait, résumé en une phrase pourtant courte et simple:
Pour comprendre la colère de Pierre Falardeau, il convient de se rappeler que les peuples ne meurent pas deux fois. La première fois est la bonne.J'ajoute une citation de Falardeau-même, tirée de son livre ''Les boeufs sont lents mais la terre est patiente'':
L'histoire nous enseigne que la défaite de 1760 marque le début de l'occupation militaire de notre territoire. La défaite de 1837-38, elle, marque le début de notre mise en minorité collective et l'annexion définitive de notre pays, annexion préparée par le Union Act de 1840 et consacrée par le système néocolonial de 1867. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : notre pays a été conquis par la force et annexé par la force. Et ce système féroce d'exploitation coloniale puis néocoloniale dure encore. Il dure depuis 238 ans.Et pourtant, le peuple n'en était pas mort. Pas encore.
Mais avec la gueule de Falardeau qu'on ne verra plus dorénavent sur nos écrans qu'en reprises et alors qu'aucun porte-parole de La Cause n'a les qualifications pour être aussi vocal pour la défendre, la mort semble approcher à grands pas.
Surtout avec Richard Séguin qui fuit les médias comme la peste, Richard Desjardins qui est de plus en plus vu comme un écologiste zélé plutôt qu'un artiste, avec des 'stars' de la pop qui n'ont rien à dire sur aucun sujet social (Sylvain Cossette, Marie-Mai, Éric Lapointe, Pierre Lapointe, Jonas, Andrée Waters et tous les autres Académiciens sans vie ni authenticité de l'Empire Péladeau ou d'un autre qui tente de prendre sa place), avec les vieux comme Paul Piché qui s'occupent plus de leurs spectacles au Casino et de faire de nouvelles versions en duo de leurs vieilles tounes plates que de Société, il ne nous reste que les politiciens corrompus du PQ dont nous sommes blasés qui parlent encore, parfois, de l'indépendance, et même là, c'est souvent du revers qu'ils en glissent un mot, de peur que ça leur coûte une élection.
Non seulement la conviction semble manquer, mais les couilles aussi. Et pour ça, Falardeau n'avait pas le droit de mourrir. Le risque que nous le suivions sont trop gros.
Pour me sortir du chemin- Richard Séguin
Qui me conduit dans la poussière
Qui me retient et me fait taire
Le long des saisons sans lumières
Pour me sortir des sommeils
Qui vont mentir jusqu'à offrir
Des paradis qui n'étaient rien
Que terres brûlées sans lendemains
Je vous laisse sur un bout de documentaire mentionné plus haut, Pea Soup, dans lequel, par une simple entrevue avec un petit garçon, Falardeau s'attaque à l'américanisation de son peuple et le manque d'éducation ( les deux par la phrase ''le Kentucky, c'est dans l'est, su'a rue Sainte-Catherine''), le manque de vision pour l'avenir (''je vas être chauffeur de camion comme mon père''), et des idées qui frôlent le conservatisme actuel à Ottawa (''je crisserais les écoles à terre, pis les vieilles maisons, je les démolirait'')...
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